LA LOI SPINETTA fête cette année ses 30 ans

Le droit de la construction est marqué cette année par le trentième anniversaire de la Loi Spinetta, son auteur.

CONSEILS JURIDIQUES de Françoise ASSUS-JUTTNER,
Avocat au Barreau de Nice & Chargée d’enseignement à L’Universi

Plusieurs colloques ont donc été programmés pour cet anniversaire de la loi du 4 janvier 1978.
- Le premier d’entre eux a été organisé par La Fédération des promoteurs constructeurs au Palais du Luxembourg le 22 février dernier.
Il s’agissait pour tous les professionnels du bâtiment de témoigner de l’application de cette loi à laquelle ils étaient reconnus pour y avoir particulièrement contribué, les avocats étaient là pour le faire des
« marches du Palais ».
Il est vrai que le barreau français s’est plus illustré dans cette matière que dans d’autres pour nourrir les commentaires d’une loi dont l’interprétation est toujours sur le métier.

- La responsabilité dans le bâtiment se dessine par le spectre de la nature du dommage, comme l’a voulu l’esprit Spinetta : favoriser la réparation rapide du dommage avant le débat sur les responsabilités.
C’est l’effet d’une volonté législative de réduire les causes exonératoires dans le respect de la présomption, pilier du texte au point de faire en trente années de jurisprudence du constructeur, un professionnel averti dans la prévisibilité des facteurs de sinistres les plus inattendus.
La précaution est novée en une obligation préalable dans l’acte de construire examiné le plus souvent par un expert amiable dont la recherche des causes est reléguée dans des tableaux de répartition dressés par les assureurs.
Le nombre de professionnels qui se croisent sur le chantier ne fait nullement obstacle à la simplification des responsabilités. L’effet absorbant du système SPINETTA fait par exemple que le défaut de conseil par la présomption vaut comme une obligation de résultat par le contrat comme hors le contrat.

- Cette absorption ne simplifie pas le travail de la défense sur les marches du Palais, même devant des juridictions, et ce quelles que soient celles-ci. Les juridictions administratives s’y soumettent et à l’inverse les juridictions civiles s’inclinent devant une décision administrative.

- Citons un arrêt de la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE du 17 janvier 2008 qui interdit à un assureur à contester le fondement de la responsabilité de son assuré déjà retenu par le juge administratif.
La force aimantée de la réparation fait donc son ?uvre, pendant que d’autres résistances se dessinent. C’est le cas de l’allongement des prescriptions par le biais de l’interruption du délai d’épreuve d’une durée de dix ans qui, elle aussi, devient un modèle pour le droit commun.
L’exemple Spinetta a conduit la jurisprudence à unifier les délais et leur point de départ, avant même que n’intervienne pour le sous-traitant l’ordonnance du 8 juin 2005, ou même avant que n’advienne la proposition de loi votée par le Sénat le 21 novembre 2007.
Mais si le phare de la réception est admit, la dispersion se retrouve dans le déclenchement de la garantie de l’assurance. L’on doit faire référence ici à toutes les incertitudes liées à la définition du début du chantier, déclanchement de la garantie. La doctrine en avait pressenti les difficultés, en particulier M. Bernard BOUBLI, alors conseiller à la Cour de Cassation, dans un ouvrage contemporain à la sortie de la Loi.

- Un texte serait en préparation pour lever les flottements liés aux différentes conceptions de l’ouverture de chantier.Le régime de la décennale peut aussi être utilisé comme effet simplificateur de la réparation des dommages aux avoisinants.
C’est le cas, lorsque la cessation du trouble consiste soit à réparer exclusivement l’immeuble sous décennale d’où viennent les dommages, soit à le démolir. De même l’Ordonnance du 8 juin 2005 a-t-elle tenté d’assimiler le sous-traitant à l’entrepreneur principal, ce qui a fait dire aux spécialistes réunis au Palais Bourbon que ce texte complétait la Loi comme l’aurait voulu SPINETTA, d’autant que la Cour de Cassation vient de décider que le texte sur la sous-traitance de 1975 s’impose au juge français devant un sous-traitant étranger. N’est pas réglée pour autant la situation de son assureur, puisqu’il n’y a pas encore de garantie décennale obligatoire pour lui. De plus cela ne résout pas tout si l’on sait que le droit italien interdit l’action directe de la victime contre l’assureur du sous traitant.

- La loi Spinetta est bien franco-française, ce qui explique que son impérialisme ne peut se faire que dans l’extension de son objet même à l’intérieur du territoire. Curieusement cela s’est fait par retour du débat à la deuxième détente sur les responsabilités par la cause exonératoire restreinte en matière de responsabilité décennale. Monsieur le professeur MALINVAUD*, à la tribune des 18èmes Entretiens de la Citadelle à Villefranche sur Mer le 1er décembre 2006, la journée était consacrée à la maîtrise de l’eau, avait à se pencher sur ce phénomène naturel dans la responsabilité des constructeurs. Il rappelait que c’était un facteur de responsabilité après réception, ou à l’inverse vecteur d’exonération selon que sa présence ou son absence sous forme de sécheresse est suffisamment catastrophique pour que l’on prétende à la force majeure, il est donc difficile de sortir du cadre Spinetta et d’échapper à la garantie décennale.
Ce transfert de responsabilité aboutissant à un transfert des garanties par l’attraction du système décennal pourrait donc lui aussi servir de modèle dans des domaines aussi divers que le risque environnemental, qui n’a pas d’assurance obligatoire, et dont la diversité d’auteurs sur le plan international peut nous faire craindre un repli sur l’assurance du bâtiment en site pollué sur le territoire français.
Ce déplacement ne s’est-il pas récemment illustré dans le report sur le banquier garant de la réparation due pas l’assureur DO s’il avait existé, seulement parce que la police DO n’avait pas été souscrite, au lieu de recourir à la sanction pénale.
Rappelons les délits institués parallèlement au système Spinetta dans l’obligation d’assurance qui laissaient prévoir un contentieux pénal abondant, que la pratique a totalement neutralisés.
- Le pouvoir absorbant de la loi Spinetta a donc joué aussi sur l’abandon quasi total de la loi répressive, comme outil de recherche de responsabilité dans la malfaçon, là où il a explosé dans le domaine de l’urbanisme.

A une heure où le « tout répression » séduit, il faut saluer ici le père d’un texte d’une extrême civilité.
Si ce contentieux résiduel laissé par le système Spinetta, réserve encore une large espace aux commentateurs et aux débatteurs, c’est qu’il y a place ici pour la civilisation, place on ne peut plus nécessaire dans une société qui vient de proclamer le droit au logement comme une des nouvelles exigences du citoyen. Il en résultera nécessairement un parc immobilier à renouveler d’urgence par de nouveaux chantiers qu’il s’agisse d’immeubles neufs ou qu’il s’agisse de rénovation.
Il n’est pas un hasard, sans doute, que l’Ordonnance du 5 juin 2005 soit intervenue dans ce contexte pour compléter le système Spinetta.
La priorité y est donnée à la protection de l’habitat par l’assurance, là ou on peut y échapper dans le domaine industriel.
Les acteurs avec ces nouveaux champs imprimés par l’esprit Spinetta seront donc de plus en plus nombreux au coeur d’un risque désormais maitrisé aussi dans le champ du droit.

Françoise ASSUS-JUTTNER
Avocat au Barreau de Nice
Chargée d’enseignement à L’Université

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