BCE : intrigues pour (...)

BCE : intrigues pour un fauteuil

Jean-Claude Trichet, le président en exercice de la Banque centrale européenne, achèvera son mandat en octobre prochain. Favori pour le remplacer, son collègue Axel Weber, quittera la présidence de la Bundesbank, en avril. Il semble bien tout à coup qu’il n’ait plus envie du poste. Tractations, intrigues et trahisons ont donc repris de plus belle…

Voilà donc que naît en Allemagne un nouveau sujet de préoccupation. Il n’est pas question ici de cette délicieuse ville d’eaux qu’est Baden-Baden, susceptible d’accueillir un hôte étranger controversé. Pour un séjour « médical » que ses concitoyens lui offriraient volontiers si l’intéressé se révélait trop impécunieux. Heureusement, tel n’est pas le cas : il ne manque pas d’argent. Tout au plus a-t-il besoin d’un peu d’affection, maintenant que les amis d’hier le traitent comme un pestiféré. Mais l’on peut faire confiance à l’hôtellerie teutonne, qui délivre une sollicitude proportionnelle à la contribution du client. Et en prime, la ville est dotée d’un casino vraiment époustouflant, que Marlène Dietrich disait « le plus beau du monde ». Ce classement élogieux est probablement toujours valide, au moins pour les amateurs de dorures « à la française ». Quoi qu’il en soit, on peut y perdre autant que dans n’importe quel tripot. Mais c’est d’une autre perte potentielle que les Allemands s’inquiètent aujourd’hui : le fauteuil de président de la BCE, lorsque le Français Jean-ClaudeTrichet arrivera au terme de son mandat. Le candidat le mieux placé à ce jour était Axel Weber, président de la très rigoureuse Bundesbank et lui-même classé « faucon » sur l’échelle Richter de l’orthodoxie monétaire. Un profil qui convenait très bien à Dame Merkel, elle qui défend bec et ongles le retour généralisé à l’équilibre budgétaire en Europe, et qui prescrit coupes sombres et majorations d’impôts aux cigales de l’Union.

On ne peut pas dire que la stratégie de la Chancelière fasse l’unanimité ; c’est en tout cas un sujet de friction permanent avec le Président Sarkozy, tout comme, du reste, la nomination de Weber à la tête de la Banque centrale européenne. Et voilà que le ténébreux Axel, confirme ce qu’il avait déclaré au cours d’une réunion en petit comité, il « ne briguera pas un nouveau mandat » à la Buba, (le sien s’achèvera en mars 2012). Une grosse surprise : les observateurs en ont déduit qu’il pourrait rejoindre le staff de la Deutsche Bank, et ainsi jouir d’un vrai salaire de banquier pour préparer une retraite confortable (en 2024, si l’âge légal est maintenu à 67 ans). Dans le même temps, pas mal de candidats au fauteuil sont passés du statut d’outsider à celui de prétendant crédible. Tout en excluant notre Trichet, dont Christine Lagarde a ingénument proposé de prolonger le mandat – au mépris des statuts de la BCE et de la courtoisie élémentaire à l’égard des autres Etats-membres. C’est donc que l’affaire est d’importance…
Un vain combat

S’agissant du premier renouvellement à ce poste prestigieux, il n’est pas possible de se référer aux usages. Mais nos éminences se montrent étonnamment combatives quand il s’agit de pourvoir un fauteuil de cette dimension, même si la puissance du président de la BCE ne se mesure qu’à la double-voix dont il dispose au Conseil des gouverneurs. Ce qui ne fait pas tout-à-fait de lui un empereur romain. Mais bon, l’élection du candidat permet de mesurer l’influence de chacun et de procéder aux marchandages ordinaires. Et accessoirement, au cas d’espèce, de privilégier une « colombe » ou un « faucon » : Weber appartenait à cette dernière espèce et l’a régulièrement démontré. Notamment en contestant le bien-fondé de la stratégie consistant, pour la Banque, à acheter une part significative des dettes émises par les « petits malades » de l’Europe. C’est-à-dire pratiquant, à une échelle plus modeste et au travers de techniques un peu différentes, le même sport dangereux que la FED américaine.

En dépit du discours scrogneugneu de Trichet, la BCE mène depuis le début de la crise une « politique accommodante » – ce qui du reste n’a jamais été nié par son président. Bref, au sein du Conseil, Axel était minoritaire. Une situation qui n’eût probablement pas changé s’il avait pris la tête de l’institution. Le personnage n’étant pas réputé pour sa rondeur diplomatique, il est permis de penser que son désistement revêt une signification : le refus d’assumer, en tant que président, des décisions qu’il juge inadaptées. Et qui promettent de se poursuivre et de s’intensifier. S’il est du ressort des banques centrales d’apporter la liquidité au système en cas de besoin, les opérations dites de « quantitative easing » ne procèdent d’une politique monétaire orthodoxe que si elles sont limitées dans le temps et dans leur montant. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Le bilan des grandes Banques centrales ne cesse d’enfler et tout laisse accroire qu’elles devront poursuivre dans cette voie. Si bien que la « sécurisation » du système peut être autrement interprétée : comme la volonté délibérée de masquer l’insolvabilité des débiteurs défaillants (banques et Etats) en utilisant l’arme légale de la création monétaire discrétionnaire. Et en croisant les doigts pour que la croissance vienne conférer un semblant de crédibilité à la manœuvre – dans le long terme, c’est-à-dire quand tous les gouverneurs seront morts. On l’a dit et on le répète : le pari est intenable. Mais la vision « fauconnière » de Weber ne l’est pas davantage : le monde a accumulé trop de dettes pour que l’on puisse espérer à la fois les rembourser et conserver la valeur des monnaies. De ce fait, autant nommer un saltimbanque à la tête de la BCE : au moins ses discours ne seront-ils pas ennuyeux.

Par
Jean-Jacques JUGIE

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