BCE : montée du stress

BCE : montée du stress

La BCE mettra-t-elle à exécution sa menace d’augmenter les taux ? La réponse est pour bientôt. Il ne faut guère compter sur la prochaine séance de stress tests pour pouvoir préjuger de la solvabilité des banques : l’exercice s’apparente déjà à une mascarade. De quoi alimenter l’angoisse sur les marchés financiers. Et aussi dans la rue…

Les frileux savent de longue date qu’en avril, mieux vaut ne pas se découvrir d’un fil. L’adage pourrait bien se confirmer cette année, tout particulièrement sur les marchés financiers. Car la Banque centrale européenne vient de laisser entendre qu’elle pourrait prochainement resserrer sa politique monétaire et hausser ses taux directeurs. Nul ne sait s’il faut prendre l’annonce comme une prévision solide ou une innocente menace. Les observateurs ont été surpris, car ils ont intégré la certitude que les grandes banques centrales sont désormais privées de toute marge de manœuvre en matière de taux, et sont condamnées à pratiquer une politique « accommodante », selon la formule récurrente de la BCE ; voire laxiste, comme celle de la FED qui ne l’avoue pas expressément. Car pour faire « rouler » la masse de dettes qui dérive sur la planète dans l’attente de collisionner un iceberg, il faut créer de nouvelles dettes. A bas coût, sauf à provoquer derechef l’asphyxie. Ce n’est pas que la bienveillance des instituts d’émission soit le remède souverain à la gangrène du système financier ; il ne s’agit même pas d’un pis-aller. C’est un anesthésique qui fait provisoirement oublier la souffrance, une dose massive de morphine qui ne peut toutefois enrayer la maladie. Une façon de temporiser, dans l’attente que la science économique ou la magie financière découvre la potion salvatrice. Si cette hypothèse était crédible, il faudrait saluer les autorités dans l’art de jouer la montre. Mais en dépit de son imagination débordante, notre espèce se révèlera longtemps encore incapable de faire des miracles.

En foi de quoi faudra-t-il reconnaître, un jour prochain, le caractère virtuel de la prétendue richesse de la planète, en ce comprises les « grandes fortunes » dont Forbes a récemment publié le palmarès de l’année. Au motif que le nombre de milliardaires en dollars se serait accru de 20% (ils sont 1 210 en 2011), on pourrait penser que la machine économique est repartie de l’avant après ses derniers cahots. La réalité est moins souriante : la concentration des fortunes, en temps ordinaire comme en période de crise, n’a jamais annoncé des lendemains idylliques. Ce serait plutôt le contraire : quand l’argent s’accumule dans un petit nombre de mains, il fait cruellement défaut auprès de la multitude.

Pas de plan B

Quoi qu’il en soit, le revirement de la politique monétaire de la BCE ne manquerait pas de catalyser des réactions en chaîne d’une portée imprévisible. D’une façon générale, la hausse des taux renchérit le coût du financement, et donc pénalise la marche des affaires. C’est une arme plutôt efficace pour lutter contre le risque de surchauffe. Toutefois, les temps présents ne nous exposent guère à l’emballement de l’activité, sauf à supposer que les économistes de la BCE anticipent une puissante embellie en Europe, ce qui les ferait soupçonner d’être accros à des substances prohibées. Mais outre son impact direct sur le flux de la production de richesses, la hausse des taux influence considérablement la valeur des stocks financiers. Pas seulement parce que la spéculation, qui s’opère pour une large part à crédit, se trouve ralentie ; l’érosion prévisible des marges des entreprises amoindrit les perspectives bénéficiaires, donc la valeur des actions ; la hausse des rendements déprécie mécaniquement le cours des créances à taux fixe. Il en résulte que les organismes financiers, et tout particulièrement les banques, se trouveraient dans ce scénario contraintes de réviser à la baisse la valeur des (énormes) actifs qu’elles détiennent sous forme obligataire. Et donc de ramener à la norme requise leur ratio de solvabilité – par accroissement des fonds propres, en particulier, procédure qu’elles tentent par tous les moyens d’éviter car elle écrase la rentabilité par action. Or, l’ensemble du secteur se trouve déjà dans une situation délicate en termes de solvabilité. Cette dernière n’est rendue plausible que par la légalisation de pratiques comptables suspectes, autorisant une valorisation généreuse des actifs dits « toxiques », autrement dit des créances pourries.

Sans compter la fiction consensuelle selon laquelle le défaut de paiement est impossible sur les signatures souveraines, ce que devrait bientôt démentir la Grèce, l’Irlande et le Portugal – pour commencer. Cette fiction, du reste, a été intégrée à l’architecture des stress tests auxquels seront prochainement soumis les établissements européens. D’ores et déjà, des critiques virulentes ont été adressées à l’European Banking Authority (EBA), chargée de la supervision bancaire européenne. Les nouveaux tests sont considérés comme plus complaisants encore que les précédents, ceux qui avaient jugé saines les banques irlandaises peu de temps avant leur sinistre… Ce n’est pas parce que la volée de bois vert provient principalement de la presse financière anglo-saxonne, prompte à tirer à boulets rouges sur l’euro et la Zone qui l’utilise, que les préventions sont dénuées de fondement. Cela ne signifie pas davantage que les banques américaines et anglaises soient à l’abri des vents mauvais, au contraire. Mais à force de cachotteries, de bidouillages rustiques et de gros mensonges quant à l’état réel de la finance mondiale, la prochaine crise en gestation promet de ne laisser que des cendres. S’il y avait un plan B, ce serait déjà très grave ; sans plan, ce sera inévitablement un désastre.

Par Jean-Jacques JUGIE

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