Un G20, sinon rien

Un G20, sinon rien

Alors rien. Ou pas grand-chose. Le dernier sommet jette une lumière crue sur le caractère fictif de la « gouvernance » internationale. Le monde est exténué et les médecins à son chevet ne peuvent se mettre d’accord sur les symptômes caractéristiques de la maladie. Divisés sur le diagnostic, ils ne peuvent évidemment réunir le consensus que sur la prescription de placebos.

Le monde politique a depuis longtemps peaufiné une méthode expéditive pour affronter les difficultés. Qui consiste à modifier les instruments de mesure habituels, autrement dit à casser le thermomètre. De tels moyens n’apportent une solution que si les maux rencontrés sont d’origine psychosomatique ; dans ce cas, ils permettent d’influencer la perception que le malade a de son état, et de le ramener à une saine réalité. Le sacrifice du thermomètre n’est toutefois pas suffisant lorsque se développe une épidémie : telle est la situation du monde aujourd’hui. Un patient méchamment atteint, qui ne se laisse pas aisément convaincre d’être en voie de guérison. Depuis le début de la crise, les symptômes de dysfonctionnement ont été largement consignés par la « communauté internationale », qui confronte les analyses de chacun lors des deux symposiums annuels du G20 ou à l’occasion des séances du conseil d’administration du G7 – regroupant exclusivement les grandes personnes, quand il est question de l’éducation des enfants. On vient tout juste d’inaugurer la présidence française du « machin », qui pour l’occasion a fait preuve d’une dynamique poussive.

C’est à grand peine que ses membres sont parvenus à un accord sur le choix des instruments à retenir pour la mesure des « déséquilibres mondiaux ». En d’autres termes, les difficultés des temps se résumeraient à un problème de baignoire et de robinet : certains pays sont immergés jusqu’au menton, d’autres ne baignent que leurs orteils. Et d’aucuns mettent un cadenas sur les réserves d’eau. Bref, la définition des indicateurs de déséquilibre revient à désigner les coupables de l’iniquité actuelle et de les forcer à se montrer plus partageux. Et dans une interprétation un peu plus crue, il s’agit pour les Etats anciennement baptisés « riches », qui ont usé et abusé de leur statut dominateur, de convaincre les ex-« pauvres » de sacrifier le résultat de leurs efforts opiniâtres vers la prospérité, afin de ne pas contraindre à la mendicité les ci-devant aristos de l’ordre ancien. Cette façon de poser le problème est sans doute un tantinet simplificatrice, mais elle résume assez bien l’état d’esprit qui règne au sein des autorités de la planète. Le système sur lequel a vécu le monde était générateur d’inégalités flagrantes, qui ont profité au clan occidental ; maintenant que les émergents ont émergé, en utilisant les mêmes armes que leurs anciens maîtres, ces derniers invoquent les arguments de la belette de la fable : la loi du premier occupant. De fait, personne ne conteste la pertinence du système qui régit le monde contemporain, alors que l’évidence s’impose : ce sont les règles dudit système, ou plutôt l’absence de règles permettant de civiliser le capitalisme libéral (spontanément enclin à la barbarie), qui sont responsables des « déséquilibres » observés. Il en résulte que les tentatives actuelles d’améliorer la « gouvernance » mondiale, qui mêlent allègrement les effets et les causes, devrait logiquement accélérer les divisions entre les parties plutôt que de créer de l’harmonie. On ne change pas une équipe qui gagne, dit l’adage. De la même façon, ne pas changer une stratégie continument perdante ne peut conduire qu’à de cruelles déconvenues.

Le cancer monétaire

Les déséquilibres apparents sont bien identifiés : ceux qui relèvent de la structure interne des Etats (dette et déficits publics, état de l’épargne privée) et ceux qui participent des rapports internationaux (balance extérieure, parité du change). Les premiers affligent principalement les nations dites développées, victimes de la prolifération anarchique de leur endettement : la charge de la dette accumulée et le niveau de l’implication publique (services publics en général et interventions relevant de ce que l’on appelle communément l’« Etat-providence ») rendent illusoire le retour à l’équilibre dans des délais raisonnables. Sauf à répudier une partie de la dette et/ou contraindre les populations à une longue et douloureuse cure d’austérité. Dans la deuxième catégorie se trouvent les émergents qui ont décollé, grâce à une industrialisation forcenée, soutenue par un coût du travail dérisoire et une parité monétaire avantageuse, le tout favorisant des exportations agressives. Et une accumulation d’excédents monétaires, notamment en dollars, bien entendu, eu égard à la part prépondérante du billet vert dans les échanges mondiaux.

La Chine en est le prototype et n’entend pas abandonner ses avantages comparatifs, en laissant sa monnaie s’apprécier, en claquant son stock de dollars dans des importations et dans la transfusion massive de pouvoir d’achat à ses citoyens, histoire de devenir la locomotive de l’économie mondiale. On se retrouve ici entraîné dans un cercle vicieux qui a une origine commune : les monnaies. Car le statut du dollar permet aux Etats-Unis de s’endetter, vis-à-vis du reste du monde, dans des proportions incompatibles avec la solvabilité de leur économie. Il est donc compréhensible qu’ils refusent d’abandonner leur planche à s’endetter. Faute d’emploi productif, ce « faux argent » va se nicher dans des emplois spéculatifs, comme les matières premières, par exemple. Il résulte de tout cela que les travailleurs chinois se tuent au travail pour une poignée de riz, que la flambée des denrées va accroître les famines, que les richesses financières sont pour une large part fictives, et ainsi que le confort passé du monde occidental est menacé de ruine. Vaut-il la peine de s’écharper pour maintenir en vie un système aussi peu performant ?

Par Jean-Jacques Jugie

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