Derrière l'union contre la

Derrière l’union contre la loi Macron, des divergences

Officiellement, les professions juridiques réglementées sont rassemblées contre la réforme de Bercy. Mais de nombreux avocats, notamment d’affaires, soutiennent certains aspects du projet de loi.

Banderoles rouges, vertes, orange ou bleues coupées au cordeau, cornes de brume, gros ballons blancs siglés aux logos des professions du droit, fumigènes rouges. Environ 30 000 personnes défilent dans les rues de Paris, ce 10 décembre 2014, à l’appel de six professions juridiques concernées par la libéralisation voulue par Emmanuel Macron, ministre de l’Economie (huissiers, notaires, avocats, mandataires judiciaires, commissaires-priseurs judiciaires et greffiers des tribunaux de commerce). Les passants découvrent à cette occasion qu’il existe à la CGT une branche notariat, dont les adhérents marchent aux côtés de leurs employeurs.

Tous les manifestants ont impeccablement noué autour de leur cou une écharpe rouge et, interrogés par les journalistes, agitent de concert la menace de « groupes financiers » ou d’un « droit anglo-saxon », tout en se réclamant de la « défense du territoire » et du « service public ». Un calicot arboré par un fringant sexagénaire caricature même Emmanuel Macron en « VRP du CAC 40 », cigare aux lèvres et brûlant un billet de 500 euros. La manifestation copie à merveille les défilés syndicaux et anticapitalistes.

Comme on le découvre sur le blog « L’œil du 20h », hébergé sur le site de France Télévision, les professions ont fait appel à l’agence de communication Havas pour organiser leur mobilisation. Le même cabinet avait déjà monté, le 17 septembre dernier, un rassemblement à la demande du Conseil supérieur du notariat (CSN). Les communicants ont admirablement fait leur travail. Ils ont notamment loué les services d’intermittents du spectacle, chargés de « motiver » les marcheurs et de leur distribuer le matériel du parfait manifestant.

Front commun baptisé « justice morte »

Pour les professions, ces moyens considérables mis au service de leur cause se justifient par l’importance de l’enjeu. La mobilisation est « sans précédent », affirment les représentants des professions juridiques, réunis quelques jours plus tôt, dans une salle anonyme d’un hôtel parisien.
Assis les uns à côté des autres, les six responsables présentent leur « front commun » baptisé « justice morte » avant de poser, debout, mains droites jointes autour d’un poteau imaginaire, comme en signe de fraternité.
« On nous reproche toujours d’être contre tout », se plaint Agnès Carlier, de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires, « alors que nous avons connu, en 2000, une réforme qui ouvrait les services à la concurrence ». Selon elle, avec la loi Macron, « le marché de l’art français va disparaître », tandis que « le maillage territorial » des maisons de ventes céderait la place à « des déserts juridiques et culturels ». Le projet d’une « grande profession de l’exécution », réunissant les fonctions de commissaire-priseur judiciaire, d’huissier de justice et mandataire judiciaire, ne convient pas davantage à Christophe Basse, qui représente ces derniers. « Depuis le 28 novembre, nous refusons les mandats qui nous sont confiés », précise-t-il. Philippe Bobet, président du Conseil national des greffiers des Tribunaux de commerce regrette « l’ouverture des professions au capitalisme » et tonne : « greffier, c’est un métier ! »

Seul Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des huissiers de justice, apporte un léger bémol à la colère ambiante. Certes, « la suppression de la compétence territoriale va désertifier le milieu rural », assure-t-il. Mais le praticien, qui continue à discuter avec Bercy, précise : « certaines réponses ont été données et me satisfont ».

Alliance des notaires et des avocats

Assis côte à côte, Jean-Marie Burguburu et Pierre-Luc Vogel, qui président respectivement le Conseil national des barreaux (CNB) et le CSN, surjouent leur alliance. Dès que l’avocat, cravate bleue, se penche vers le notaire, cravate rouge, les appareils des photographes crépitent, immortalisant le conciliabule. Les deux professions, souvent rivales, sont officiellement « sur la même ligne », annonce Jean-Marie Burguburu. Pierre-Luc Vogel ne manifeste aucun signe d’agacement lorsque son voisin se lance dans une longue et sentencieuse plaidoirie. Le notaire ne réagit pas non plus lorsque l’avocat se moque ouvertement de lui. Si le gouvernement n’entend pas les manifestants, « le risque d’embrasement est général, car il y a très peu de professions qui ne soient pas en colère », assure le représentant du notariat. « Auriez-vous pu penser que le président du CSN parle d’embrasement général ? Vous comprenez que l’heure est grave », ironise immédiatement son homologue du CNB. Mais Pierre-Luc Vogel encaisse. Il sait que les notaires ont davantage à perdre que les avocats.

Ces derniers ne sont d’ailleurs pas aussi unanimes que ne l’avance Jean-Marie Burguburu. Le barreau de Paris a refusé de participer à la manifestation du 10 décembre. Les robes noires de la capitale soutiennent au moins deux aspects de la loi : la suppression de la postulation, qui oblige les justiciables à recourir à un deuxième avocat (local) lorsque l’instance se déroule dans le ressort d’un autre tribunal, et l’instauration d’un statut d’avocat en entreprise. Les cabinets d’affaires, principalement parisiens, espèrent tirer parti de ces deux mesures. Dans une tribune publiée par le quotidien économique Les Echos, le 9 décembre, un avocat marseillais, François Mazon, explique lui aussi pourquoi il ne participe pas à la journée « justice morte » voulue par le CNB. La postulation obligatoire, écrit-il, « date de l’époque des voitures postales, pour ne pas dire des diligences, à une époque où il était nécessaire de maintenir une présence continue et de proximité pour gérer convenablement la procédure ». Le praticien défend aussi l’avocat en entreprise, qui « ouvrira de nouveaux débouchés aux jeunes avocats » et même l’ouverture du capital des cabinets car « la spécialisation et l’expertise sont plus importantes que la taille ».

Cette opinion n’est apparemment pas isolée. Le 10 décembre, dans la manifestation sur le pavé parisien, le gros des troupes n’est pas constitué d’avocats, mais de notaires. Ces derniers, même s’ils affichent une détermination sans faille, n’ont pas toujours délivré un message aussi martial. Fin octobre, étrennant ses fonctions de président du CSN, Pierre-Luc Vogel s’était montré beaucoup plus conciliant à l’égard du gouvernement. Il réfutait alors le rejet absolu de la loi Macron. « Nous ne sommes pas du tout arc-boutés contre la réforme », disait-il. Le ton a changé. Le CSN se prononce désormais pour le retrait de la loi. « Je pensais, peut-être par naïveté, pouvoir faire évoluer le texte », reconnaît aujourd’hui Pierre-Luc Vogel. Mais la concertation menée par Bercy n’était selon lui qu’une « mascarade ».

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