Devenir propriétaire (...)

Devenir propriétaire ? Tout vient à point à qui sait attendre

Obs. Civ. 3ème, 8 oct. 2015, à paraître au bulletin, pourvoi n° 14-16071

En ces temps de crise, accéder à la propriété n’est pas toujours aisé. Comment acquérir un bien immobilier par le seul fait de le posséder, sans avoir à produire un titre de propriété, ou se voir opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ? Rien de tel que l’usucapion ! La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur ce mécanisme prévu à l’art. 2272 du Code civil. L’usucapion désigne la prescription acquisitive, c’est-à-dire un mode légal d’acquisition de la propriété par l’effet de la possession, de l’usage et de l’entretien du bien. En bref, la jurisprudence exige pour usucaper, une possession continue et non-interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire (1). Il faut que le propriétaire légal n’ait pas protesté durant l’écoulement de la prescription. C’est ainsi que la propriété de l’immeuble sera acquise à celui qui se sera comporté comme un propriétaire de façon continue pendant 30 ans. Tel est le sens de la disposition de l’alinéa 1er de l’art. 2272 du Code civil.

« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » !

En matière de copropriété, la question s’est déjà posée au sujet de l’acquisition par un copropriétaire d’un droit de jouissance privatif sur une partie commune (2). Mais la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a statué, le 8 octobre 2015, sur le fait de savoir si un syndicat de copropriétaires pouvait usucaper le lot d’un copropriétaire.

La situation était la suivante :

Une vente est réalisée portant sur un garage situé dans une copropriété. Mais le syndicat de copropriétaires de l’immeuble assigne vendeurs et acquéreur en inopposabilité de la vente et en restitution du lot cédé. En l’espèce, le syndicat entend se prévaloir de la prescription acquisitive du fait que, pendant 30 années, le lot a été utilisé par tous les copropriétaires de l’immeuble.

La question qui se pose alors est de déterminer si un syndicat de copropriété, qui a pour mission de gérer, d’administrer et de veiller à la conservation de l’immeuble, peut acquérir par usucapion des parties privatives ?

L’enjeu du problème s’est dessiné autour des dispositions de la loi du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. En l’espèce, le règlement de copropriété décrivait le lot comme une partie privative. De plus, aucun vote n’était venu approuver un changement de destination du lot, ni les modalités relatives à sa jouissance. Or, l’art. 26 de la loi de 1965 ne permet pas d’imposer à un copropriétaire la transformation d’une partie privative en partie commune. C’est sur ce fondement que la Cour d’appel a rejeté la demande du syndicat, en jugeant alors que ce dernier ne pouvait porter atteinte aux droits fondamentaux des copropriétaires. Selon les juges du fond, la loi de 1965 fait donc obstacle à l’acquisition d’un lot privatif par un syndicat sur le fondement de l’art. 2272 du Code civil.

Toutefois, la 1ère Chambre civile n’a pas suivi la Cour d’appel dans ce raisonnement, en affirmant qu’aucune disposition ne s’oppose à ce qu’un syndicat de copropriétaires acquière par prescription la propriété d’un lot. Le recours à l’art. 26 n’y fait rien : Non, la loi de 1965 ne fait pas obstacle à la prescription acquisitive. En effet, il ne s’agit pas d’une transformation d’une partie privative en partie commune. Il est bien question du mode d’acquisition de la propriété par voie de prescription et ce mode d’acquisition est ouvert aux syndicats de copropriété, dixit la Haute juridiction.

L’arrêt est original en ce que les faits de l’espèce mettent en scène ce qui semble être une coalition des propriétaires, au travers de la possession partagée entre voisins du même immeuble, afin de jouir collectivement d’un lot particulier. Cette démonstration insolite de solidarité est-elle la preuve réconfortante que, comme l’affirme une enquête Ipsos, 94% des Français sont prêts à rendre service à leur voisin (3) ? Elle est du moins, dans l’arrêt qui nous préoccupe, ce qui permettrait au syndicat, doté de la personnalité morale, d’acquérir la partie privative au profit de tous les copropriétaires. La mission du syndicat peut néanmoins sembler contradictoire avec la possibilité d’usucaper une partie privative. Mais ce serait oublier les termes de l’art. 2272 du Code civil (al. 1) qui excluent la bonne foi des conditions d’exercice de la prescription acquisitive (4).

Ainsi, comme il est bon de pouvoir compter sur ses voisins, et plus précisément sur le syndicat de copropriété, pour veiller à la conservation de son bien !

(1) Civ. 3è, 24 oct. 2007, Bull. civ. III, n° 283, n° 06-19260.
(2) Civ. 3è, 24 oct. 2007, préc. Adde Civ. 3è, 30 avr. 2003, Bull. civ. n° 91 ; Civ. 3è, 19 mai 2015, inédit, n° 14-15384 (la prescription acquisitive éteint l’action en démolition du syndicat).
(3) Cf. COLMART A., « 70% des français font confiance à leurs voisins », in L’obs immobilier, 23 mai 2014.
(4) Tel n’est pas le cas pour la prescription abrégée prévue à l’al. 2.

Par Hania KASSOUL
Doctorante au Centre d’Etude et de Recherche en Droit des Procédures, Faculté de Droit et Sciences Politiques de Nice Sophia-Antipolis.
[email protected]

Publication récente de l’auteur : "L’éternel retour de la mention manuscrite du cautionnement : quel formalisme pour la durée de l’engagement ?", recueil Dalloz, 5 novembre 2015, p.2231-2235.

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