La loi El Khomri déchaîne

La loi El Khomri déchaîne les passions : à tort ou à raison ?

  • le 26 juillet 2016

A en croire certaines organisations syndicales (principalement la CGT et FO), cette loi entraînerait une régression sociale sans précédent. Il n’en est rien. En l’état, la Loi Travail ne fait que confirmer l’évolution actuelle du droit du travail issue des dernières réformes et de la jurisprudence.

Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs(ves) est considéré comme adopté par l’Assemblée Nationale en application de l’article 49.3 de la Constitution.

Un retour sur les trois points clés de la Loi Travail le démontre.

Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche

La Loi Travail réorganise les dispositions relatives à la durée du travail autour du tryptique suivant :

• Ordre public auquel il ne peut être dérogé ;
• Champ de la négociation collective sachant que dans la plupart des cas l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche ;
• Dispositions supplétives applicables à défaut d’accord.
Cette nouvelle architecture tend à permettre la conclusion d’accords d’entreprise dérogeant de façon moins favorable aux accords de branche en matière de durée de travail. Ainsi, dans une branche où le taux de majoration des heures supplémentaires est fixé à 25 %, un accord d’entreprise pourra fixer un taux moindre sans toutefois être inférieur à 10%. Or, sur ce point sensible des heures supplémentaires, une telle dérogation est déjà possible en application de l’article L. 3121-22 actuel du Code du travail !

Les syndicats dénoncent un renversement de la hiérarchie des normes et la suppression du principe de faveur selon lequel l’accord d’entreprise ne peut être moins favorable que l’accord de branche, ce que traduit la formule « par accord d’entreprise, à défaut par accord de branche ». Cette formule n’est pourtant pas nouvelle : depuis la loi du 20 août 2008, l’accord d’entreprise prime déjà sur l’accord de branche pour le contingent d’heures supplémentaires, le repos compensateur de remplacement, les forfaits jours, le compte épargne temps.

Certains pensent que la primauté de l’accord d’entreprise va permettre un droit du travail à la carte. Or les accords d’entreprise restent encadrés par les dispositions légales et les accords de branche dans de nombreux cas. Un accord d’entreprise ne peut déroger au seuil légal de 10% pour la majoration des heures supplémentaires ou encore à la durée légale hebdomadaire de travail de 35 heures. De même, un accord d’entreprise ne peut déroger de façon moins favorable à un accord de branche sur la durée minimale du temps partiel ou prévoir une modulation du temps de travail au-delà de 12 mois sans aval de la branche.

Enfin, le simple recours à la notion d’accord d’entreprise, qui suppose une négociation donc des contreparties, ne saurait constituer le boulevard de la remise en cause des acquis sociaux que l’on prête à ce texte.

Conditions de validité des accords d’entreprise

La Loi Travail consacre le principe majoritaire subordonnant la validité de l’accord à sa signature par des organisations syndicales représentatives ayant obtenu au moins 50 % des suffrages exprimés. Si des organisations syndicales signataires représentent 30 % des suffrages, l’accord pourra être validé par référendum d’entreprise à la majorité.

La majorité érigée en principe et le dernier mot donné aux salariés sonnerait le glas de la négociation collective.

Pourtant il ne s’agit pas de retirer aux syndicats leurs prérogatives mais d’éviter les éventuels blocages grâce au référendum, qui existe d’ailleurs déjà en matière d’épargne salariale et de garanties collectives.
De même le principe majoritaire n’est pas nouveau. La loi du 14 juin 2013 crée l’accord majoritaire portant PSE. La loi du 5 mars 2014 consacre le principe majoritaire pour la conclusion d’un accord sur la qualité de vie au travail. La loi du 17 août 2015 instaure l’accord majoritaire pour modifier la périodicité de la négociation annuelle.

La loi nouvelle aura le mérite de simplifier la situation en généralisant le recours aux accords majoritaires.

Définition du licenciement économique

La Loi Travail précise qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une importante dégradation de la trésorerie caractérisent des difficultés économiques. Les baisses et pertes devront s’étendre sur plus d’un trimestre pour les PME de - de 11 salariés, deux trimestres pour les entreprises de 11 à 50 salariés, trois trimestres pour les entreprises de 50 à 300 salariés et quatre trimestres pour celles de 300 salariés et +.

Certains affirment que ce barème inciterait les entreprises à licencier, d’autres soutiennent que le juge serait privé de la faculté de vérifier la réalité des difficultés : le licenciement économique serait facilité.

En réalité, la Loi Travail se contente de reprendre les motifs de licenciement actuellement inscrits dans le Code du travail à savoir les difficultés économiques et les mutations technologiques, et codifie la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité et la cessation d’activité issues de la jurisprudence.

Les précisions sur la nature des difficultés économiques ne font qu’entériner la jurisprudence selon laquelle la baisse des commandes, du chiffre d’affaires, les pertes d’exploitation, la dégradation de la trésorerie caractérisent un motif économique. Rien n’est dit sur l’importance de la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, ce qui laisse donc encore la part belle à l’appréciation des juges.

En l’état, la Loi Travail s’inscrit donc là aussi dans la continuité du droit antérieur.

Force est donc de constater que l’opposition bruyamment manifestée sur le contenu et la portée de ce texte relève davantage de la stratégie syndicale, voire politique, que d’une réalité technique ou juridique.

Maître Marion Le Roux
Cabinet CAPSTAN

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