Marchés publics : le (...)

Marchés publics : le danger des prix anormalement bas

  • le 15 mars 2011

Les offres « anormalement basses », qui faussent le jeu de la concurrence, peuvent avoir des conséquences dommageables tant pour les entreprises que pour les collectivités.

En période de crise économique, pour conquérir de nouveaux marchés ou simplement pour préserver leurs positions, de plus en plus d’entreprises n’hésitent pas à diminuer leurs prix pour être retenues lors des appels d’offres des marchés publics. Les prix proposés atteignent parfois des niveaux anormalement bas et économiquement injustifiés.

Cette pratique est dangereuse pour tout le secteur concerné. Les entreprises s’en plaignent régulièrement et les collectivités doivent réagir pour lutter contre ces pratiques anticoncurrentielles. Des règles répriment ces « prix anormalement bas » et doivent être mises en œuvre.

Des offres économiquement toxiques, dangereuses...

Les offres anormalement basses ne sont pas seulement dangereuses pour l’entreprise candidate, qui se met en danger, elles le sont également pour la personne publique qui passe le marché.

En effet, souvent, le prix anormalement bas cache une prestation incomplète ou une qualité insuffisante ; le candidat retenu sera incité à bâcler ses prestations pour tenir le prix offert. Lorsque la pratique de prix abusivement bas est régulière, la collectivité s’expose en outre à un risque inévitable de défaillance de l’entreprise confrontée à des difficultés économiques. Le collectivité prend également le risque (fréquent) d’un relèvement parfois substantiel du prix initial par le biais d’avenants. La sincérité de la procédure de passation est alors douteuse.

Enfin les offres anormalement basses faussent le jeu normal de la concurrence et lèsent de manière évidente les candidats évincés.

..et illégales, qui doivent être rejetées

Les autorités européennes, le législateur national, et l’administration française ont, de longue date et constamment, cherché à éradiquer les offres anormalement basses, par différents textes. Le Code des marchés publics lui-même a évolué en privilégiant non plus l’offre « la moins disante », mais « l’offre économiquement la plus avantageuse ».

Désormais, les juristes et les tribunaux s’accordent à considérer que l’article 55 du Code des marchés publics prévoit l’illégalité des offres anormalement basses et l’obligation pour la collectivité de les rejeter. Les candidats lésés peuvent d’ailleurs saisir, pour ce motif, le juge des référés précontractuels, lequel décidera très efficacement, en une vingtaine de jours seulement, de censurer la procédure de passation.

Reste quelques questions pratiques : comment définir une offre anormalement basse et comment la détecter ? En effet, il serait paradoxal de sanctionner systématiquement les candidats les moins disants et de décourager les efforts tarifaires. L’entreprise peut cependant justifier son tarif bas et l’administration a d’ailleurs l’obligation de réclamer de telles justifications.

Comment définir un prix anormalement bas ?

Le caractère anormalement bas de l’offre est très subjectif. L’entreprise peut en effet justifier son prix. Si la collectivité a un doute sur le niveau de prix d’une offre, elle est tenue, avant de la rejeter, d’inviter le candidat à justifier ses prix.

A la lumière des explications fournies, l’administration peut soit retenir l’offre basse, en s’estimant rassurée sur la légalité du tarif proposé soit, et c’est une obligation, rejeter une offre anormalement basse. Les motifs de justification admis sont encadrés (art 55 du Code des marchés publics).

Comment détecter les offres anormalement basses ?

Diverses méthodes existent pour permettre aux collectivités de détecter les offres potentiellement anormalement basses. Certaines fédérations professionnelles, comme la Fédération française du bâtiment (FFB), par exemple, proposent des critères.

Le piège ici serait, en effet, de retenir une méthode subjective qui aboutirait au paradoxe de rejeter indument l’offre du candidat le moins disant !

La référence à l’évaluation initiale du marché qui est effectuée par la collectivité avant de passer un marché public est un critère important d’appréciation. Il convient donc d’évaluer ce montant avec sérieux.

La méthode, apparemment simple, consistant à comparer les offres entre elles n’est pas suffisante pour détecter les offres anormalement basses. A défaut, les personnes publiques ne pourraient pas détecter ni empêcher les ententes conclues dans le cadre d’un marché.

Pour détecter les offres anormalement basses de manière fiable, la personne publique doit donc également opérer une vérification objective en dehors des offres présentées pour le marché litigieux lui-même.

Certains éminents juristes proposent d’apprécier le caractère anormalement bas d’une offre par rapport « aux canons de l’offre économiquement rationnelle », ou « par référence à un montant ’normal’ au regard des caractéristiques de l’offre » ou encore par rapport à un « seuil de normalité » . Certaines juridictions administratives font ainsi référence aux « prix pratiqués sur le marché » ou aux « prix retenus dans des marchés comparables » ou encore à des « coefficients de marge (…) excessivement bas ». Ainsi par exemple sont anormalement bas des tarifs « inférieurs de près de 40% aux prix pratiqués sur le marché ».

Dans le doute, il est évidemment préférable pour la collectivité de solliciter des précisions ; un excès de zèle de sa part sera rarement sanctionné alors que le laxisme l’expose à un risque juridique.

Enfin, les entreprises qui proposent des prix anormalement bas faussent le jeu de la concurrence et sont parfois susceptibles d’être sanctionnées également par le Conseil de la concurrence.

Comme le dit un vieil adage, « le bon marché coûte cher » ! Les collectivités doivent être vigilantes et les entreprises lésées agir, sous peine que les prix anormalement bas deviennent la référence commune.

Par

Paul-Guillaume Balaÿ, avocat au barreau de Lille

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