Responsabilité des profess

Responsabilité des professionnels du droit : payez sans passer par la case-départ !

Observation sous Civ. 1è, 25 nov. 2015, à paraître au bulletin, pourvoi n° 14-26245

La responsabilité dont il est question dans l’arrêt du 25 novembre 2015 n’est pas celle de la case-prison, mais celle de l’art. 1382 du C. civil. On attend des professionnels du droit la mise en œuvre de leurs compétences, voire même d’un certain talent. Si d’aucuns affirment que le talent constitue un titre de responsabilité (1), c’est aussi le cas concernant la compétence des juristes.

Une action dirigée contre un notaire a permis à la 1è Chambre civile d’évoquer le régime de responsabilité des professionnels du droit. Cette responsabilité repose sur des obligations légales à la charge du professionnel.

La devise du notaire ? Efficacité, loyauté, prudence, diligence, conseil. Officier publique, le notaire est à la fois un rédacteur-authentificateur d’actes et un juriste-conseil. C’est à ce double titre qu’il est débiteur d’une obligation d’assurer l’efficacité de ses actes (2), et d’un devoir général de loyauté, de prudence et de diligence. Il est aussi redevable d’un devoir de conseil (3), consistant principalement en l’obligation d’informer et d’éclairer les parties.

En l’espèce, un notaire avait procédé à une cession de fonds de commerce prévoyant la clause suivante : « Procédure de licenciement : le cédant déclare qu’il n’existe au 1er janvier 2010 aucune procédure de licenciement. Le cessionnaire déclare avoir procédé au licenciement de Mme Z au cours du mois de janvier 2010. Le cessionnaire déclare vouloir faire son affaire personnelle de cette situation sans recours contre le vendeur » (4). Les conséquences éventuelles de la procédure de licenciement étaient donc mises à la charge du cessionnaire.

Nonobstant la clause de responsabilité, le licenciement donnait lieu à une condamnation prud’homale…du vendeur ! Ce dernier agit en responsabilité contre le notaire, lui reprochant de n’avoir ni assuré l’efficacité de l’acte, ni satisfait à son devoir de conseil.

La demande était accueillie par la Cour d’appel de Bordeaux qui condamna le notaire à indemniser la perte de chance de son client d’obtenir, en exécution de l’acte de cession, la prise en charge financière du licenciement par le cessionnaire.

Dans son pourvoi, le notaire argue notamment que le cédant disposait d’une action contre le cessionnaire sur le fondement de la clause de responsabilité, permettant une indemnisation par le débiteur conventionnellement prévu, conformément à la commune intention des parties. La chance n’était donc pas perdue !

Dans un arrêt de rejet, la Cour de cassation approuve cette condamnation, par un moyen de pur droit, soulevé d’office, rappelant (5) que la responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire.

Ainsi, la mise en jeu de la responsabilité du professionnel, n’est pas subordonnée à une poursuite préalable contre un autre débiteur. Pourvu que soit certain le dommage subi par sa faute (6), non contestée en l’espèce, la victime peut agir directement contre le professionnel, disposerait-elle par ailleurs d’une action contre un tiers propre à assurer la réparation du préjudice.

La décision de la Haute juridiction semble sévère en ce qui concerne l’appréciation de l’efficacité de l’acte. En effet, l’acte de cession prévoyait une clause de responsabilité permettant l’indemnisation sur le fondement de l’art. 1134 du C. civil. L’existence de cette disposition contractuelle, anticipatrice de l’après-contrat, est-elle véritablement inefficace ?

L’inefficacité retenue par la Cour se confond ici avec l’effet inopérant de la clause dans le cadre de la procédure prud’homale, au travers notamment de l’imprécision de ses termes. Mais il reste difficile d’affirmer pour autant que l’acte est inefficace puisqu’il garantit par ailleurs l’indemnisation du cédant sur le fondement d’une action en exécution de la convention. La clause est donc bien efficace sur le terrain contractuel.

Toutefois, ce serait sans compter sur l’obligation de conseil du notaire. En effet, le notaire devait se préoccuper de la portée judiciaire de la clause. Débiteur d’un devoir d’information et de conseil, il aurait dû permettre aux parties d’assurer plus utilement les effets de la clause de responsabilité.

Finalement, ce n’est plus d’efficacité dont il s’agit, mais d’efficience. Si la clause prévoit la renonciation d’un recours du cessionnaire contre le vendeur, elle n’anticipe pas le cas d’une condamnation du vendeur. Cette hypothèse n’avait pas traversé l’esprit du rédacteur pour qui le vendeur était prémuni contre une condamnation, par le biais de la stipulation contractuelle. Cette dernière disposait effectivement que l’employeur auteur du licenciement n’était pas le cédant, mais bien le cessionnaire ! Le pourvoi aurait donc dû mettre l’existence de la faute en débat (7). D’autant que le bienfondé de la décision prud’homale donne lieu à discussion…

(1) Cf. Charles De Gaulle ou encore Alain Rickman.
(2) Civ. 1è, 7 fév. 1989, Bull. n° 69.
(3) Civ. 1è, 26 nov. 1996, Bull. n° 419 ; Civ. 1è, 7 nov. 2000, Bull. n° 282 ; Obligation d’information de la part de l’avocat sur les conséquences financières du licenciement : Civ. 1è, 13 mars 1996, Bull. n° 132.
(4) A noter que l’utilité de la clause doit être soulignée du fait que le nouveau propriétaire était entré dans les lieux avant la signature de l’acte définitif. C’est pourquoi l’acte prévoyait d’ailleurs la jouissance rétroactive du cessionnaire. C’est durant cette période, antérieure à la signature mais durant laquelle l’acquéreur jouissait déjà du fonds, que le licenciement est intervenu.
(5) Civ. 1è, 13 fév. 1996, Bull. n° 81 ; Civ. 1è, 7 mai 2002, Bull. n° 121.
(6) Civ. 1è, 2 avril 1997, Bull. n° 116 : le préjudice réparable doit être direct, actuel et certain.
(7) La faute n’est pas contestée dans le pourvoi, et l’imprécision des termes de la clause y est même reconnue.

Par Hania KASSOUL
Doctorante au Centre d’Etude et de Recherche en Droit des Procédures, Faculté de Droit et Sciences Politiques de Nice Sophia-Antipolis.
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