L'exclusion numérique, un

L’exclusion numérique, un risque pour la société entière

La France compte 5 millions de personnes « déconnectées ». Comment prendre en compte ce nouveau facteur d’exclusion dans les politiques publiques et la réforme de l’administration ?, s’interroge Emmaüs Connect

Ce 27 novembre, à Paris, se tenait la première édition du Forum consacré à « l’inclusion numérique », ou comment favoriser l’insertion des plus démunis à travers le numérique ? ».

Celui-ci était organisé par Emmaüs Connect, la branche de l’association Emmaüs qui se consacre à l’exclusion numérique. Son action : des programmes d’accompagnement au numérique, qui prévoient formation et équipement en téléphonie, ordinateurs et connexions Internet pour des personnes en difficultés. Car le constat est alarmant d’après les données recueillies par l’association. « En France, on compte plus de 5 millions de déconnectés. Et 40% des pauvres sont déconnectés », rappelle Margault Felip, directrice-adjointe d’Emmaüs Connect. Parmi les personnes accueillies par l’association, la téléphonie est devenue un « besoin vital » pour lequel les individus sont prêts à investir dans le matériel. Internet, lui est certes vu comme très important, mais aussi « un peu comme un luxe », explique Margault Felip. Résultat, les individus ne s’équipent pas forcément, mais se débrouillent pour se connecter depuis un EPN, espace public numérique, ou un Mac Do…

Quant aux compétences dans le domaine numérique, « elles sont extrêmement variées. Certains n’ont jamais vu un ordinateur. Mais plus largement, il y a un vrai manque des compétences de base dont on a besoin pour commencer à profiter d’Internet. Les deux tiers nous demandent de l’aide pour créer une boîte mail », poursuit-elle. Or, socialement, « le numérique peut être un facteur d’exclusion ou un levier d’inclusion », analyse Margault Felip.

e-administration de terrain…

Une réalité à double tranchant, particulièrement sensible dans les relations entre le citoyen et l’administration, ont montré les intervenants du débat « Comment réussir le virage « France numérique » au service de tous les citoyens ? », qui s’est déroulé durant le Forum. En effet, de plus en plus de démarches administratives se déroulent - ou peuvent se dérouler- en ligne. Résultat, d’une part, « les personnes gagnent un temps énorme, sur des démarches habituellement chronophages », note Margault Felip. Mais à contrario, l’accès aux démarches en ligne peut poser des difficultés spécifiques. « On a observé des problèmes de compétences numériques de base, comme par exemple le fait de confondre zéro et « O »… ce qui rend impossible l’ouverture d’un compte », illustre Stéphanie Briatte, responsable de Connexions solidaires pour la Seine-Saint-Denis. Les problèmes ne s’arrêtent pas là : certaines personnes à qui on a ouvert une boîte mail, ne savent pas s’en servir. « Ils risquent une rupture de droits, en ne répondant pas à un courrier », poursuit Stéphanie Briatte. Autre frein potentiel encore, le stress : « pour certains, mal cliquer, c’est prendre le risque de ne pas toucher leur seul revenu », ajoute Stéphanie Briatte. Et il faut compter aussi sur la barrière de la langue…

Une réforme nécessaire

Conséquence de la numérisation des services publics, « au final, ce sont les travailleurs sociaux, qui se retrouvent à faire les médiateurs numériques », alerte Stéphanie Briatte, qui invite à travailler à d’autres formes de médiations, ainsi qu’à une ergonomie simplifiée des sites Internet publics. Avis partagé par Marie-Line Desnoyes, responsable adjointe du Ccas, Centre communal d’action sociale de Saint-Denis, qui pointe la nécessité d’un travail de médiation sur le territoire. Les écrivains publics d’aujourd’hui, médiateurs numériques demain ? Dans tous les cas, « le médiateur numérique n’est pas encore assez reconnu aujourd’hui », remarque Marie-Line Desnoyes, pour qui les collectivités locales ont un rôle à jouer, dans l’animation des espaces de médiation.

Autre sujet encore, qui intéresse les collectivités et les administrations publiques : le « changement d’échelle », note Stéphanie Briatte.
Exemple, avec le partenariat noué entre Emmaüs Connect et la CAF, caisse d’allocations familiales, sur le département de Seine-Saint-Denis, pour une meilleure appropriation des services par Internet de cette administration : l’association suit un millier de personnes, par an, quand ce territoire compte quelque 750 000 allocataires de la CAF…

Face à ces nouveaux défis auxquels est confrontée l’administration publique, Philippe Lemoine, président du Forum d’Action et Modernités, plaide, lui, pour des interactions avec d’autres acteurs.
« C’est une partie à trois, avec le monde public, le privé et celui du bien commun », encourage-t-il. Illustration, avec le sujet central que constitue la recherche d’emploi : seuls 17% des demandeurs d’emplois sont inclus dans la CVthèque de Pôle Emploi, à l’heure où des startups ont développé des dispositifs pour récupérer les profils Facebook… « il y a des interactions à avoir », explique Philippe Lemoine. Autre voie à explorer, une collaboration avec des fondations comme Mozilla ou Wikipedia . « Elles pourraient fournir des points d’appui pour développer des initiatives comme celles d’Emmaüs Connect », poursuit-il. « On n’en n’est qu’au début de ce que le numérique peut apporter à la cohésion sociale, à l’inclusion des personnes », estime pour sa part Margault Felip.

L’inclusion numérique au Royaume-Uni

Depuis avril dernier, le Royaume-Uni mène une campagne d’inclusion numérique concernant tous les citoyens. A la base : un très vaste programme de dématérialisation des services publics, qui devrait être achevé en 2020. L’Etat en attend une diminution des dépenses publiques de 70 milliards de livres à cette date. Dans le cadre de la campagne d’inclusion du numérique, des organisations comme « Digital inclusion champion » comportent des milliers de bénévoles formés pour aider les voisins à sortir de la précarité, dans des communautés de résidents de logements sociaux. C’est ce que rapporte le premier numéro de « Les cahiers connexions solidaires », magazine d’Emmaüs Connect.

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