Rotterdam : Un souffle

Rotterdam : Un souffle puissant

Jacques Brel a fait beaucoup pour la renommée d’Amsterdam. Mais à 60 kilomètres de là, à l’embouchure du Rhin et de la Meuse qui s’en vont finir dans la mer du Nord, il y a dans le port de Rotterdam aussi « des marins qui naissent dans la chaleur épaisse des langueurs océanes ». Il est devenu le premier port d’Europe. Vers ses quais (42 kilomètres linéaires) et ses 12 000 hectares d’installations convergent du monde entier les supertankers et les porte-conteneurs.

N’avoir qu’une vision « industrielle » de cette agglomération dépassant le million et demi d’habitants serait aussi réducteur qu’injuste. Certes, le moteur économique est en grande partie alimenté par le port, mais la ville a réussi en quelques dizaines d’année une mue spectaculaire.

Moderne, puissante, aérée…

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C’est le choc, dès la sortie de la nouvelle gare, bâtiment aux lignes élégantes et tendues, qui donne accès à une grande esplanade bordée d’immeubles immenses.
Le long des boulevards s’alignent en un désordre calculé des tours aux façades soignées, parfois colorées, toujours surprenantes par l’audace de leurs lignes. L’ambition architecturale est manifeste. On est ici loin des constructions prétentieuses que l’on voit parfois chez nous, posées par caprice, pour faire moderne, sans cohérence d’ensemble. « Nous avons réussi cette mutation grâce à la personnalité rayonnante d’une urbaniste qui a réussi à convaincre l’administration municipale de voir grand, dans un ensemble organisé qui s’étale sur toute la ville » explique Joost, professeur de droit à la faculté de La Haye. Voir en grand, ce n’est pas une vue de l’esprit : une petite vingtaine d’immeubles dépassent tout de même les 100 mètres de hauteur dans cette ville...

Nulle impression d’oppression cependant : les boulevards y sont larges, les trottoirs immenses, les arbres nombreux. Ici, pas de vie trépidante, peu de bruit de circulation. Les deux-roues y sont nombreux, essentiellement des vélos à « muscles » ou électriques. Un « cling » de sonnette vient vous rappeler, distrait que vous êtes, que ce qui vous semble être une route à double sens est en fait une voie cyclable… Et gare si vous ne dégagez pas assez vite, sous peine de faire connaissance avec le charme « mélodieux » d’une voix batave en colère.

L’eau, préoccupation constante

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Faire d’un drame une chance : la remise à plat de la ville a été - si l’on ose dire - ‘facilitée’ par le bombardement du 14 mai 1940 par les nazis qui rasèrent 90 % du centre de Rotterdam. Les architectes ont travaillé en partant d’une feuille blanche sur laquelle l’eau – préoccupation éternelle aux Pays-Bas – occupe plus du tiers de la surface, entre ports et canaux. Il ne faut pas se louper dans une commune dont le ‘sommet’ naturel se trouve à 10 mètres d’altitude alors que le point bas descend à 6 mètres en dessous du niveau de la mer…
Même les plus blasés seront épatés par le Market Hall, halle gourmande réussie, sorte de grande arche de la Défense abritant des restaurants et dans ses murs des logements. Par le « Dépôt  », gigantesque ballon de miroirs arrondis dans lequel se reflètent les nuages, par l’usine Van Nelle inscrite au titre de patrimoine mondial de l’humanité, par les maisons cubes de l’architecte Piet Blom, par le pont Erasme qui enjambe la Meuse, par les rues bordées de commerces actifs.
Attablé à une terrasse du vieux port, entre grues historiques et vieux gréements, on sifflotera encore Jacques Brel devant une bonne mousse accompagnée de frites en regardant passer les bateaux taxis qui conduisent touristes et hommes d’affaires dans le dédale aquatique. Vous ne serez alors pas étonnés que Rotterdam ait reçu le premier prix de la catégorie Urbanism Awards pour l’année 2015.
Jean-Michel CHEVALIER

Photo de une ©JMC

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