La TVA plébiscitée

La TVA plébiscitée

Quand le Trésor se déplume, il lui faut trouver des ressources. D’évidence, les nouvelles recettes de la loi de Finances ne suffiront pas à son rétablissement. Voilà pourquoi la TVA, sous un habillage « social », promet d’être sollicitée.
Mais il est à craindre que l’augmentation de cette taxe ne revienne à se tirer une balle dans le pied.

Le budget 2011 n’était pas encore voté, les dindes pas encore rôties, le Père Noël pas encore bloqué par les neiges, qu’un débat jusqu’alors voilé de la pudeur politicienne refaisait surface : celui relatif à la « TVA sociale », ou « TVA-emploi », ou « TVA anti-délocalisations », comme on voudra. Ces différentes appellations témoignent de la diversité des sensibilités de ceux qui les énoncent, mais recouvrent une même préoccupation : comment colmater la voie d’eau qui s’est depuis longtemps ouverte dans la coque des comptes publics, menaçant désormais de faire sombrer le paquebot de notre système social. Et par la même occasion d’engloutir le « modèle français », la quiétude chamailleuse de sa société et l’équilibre réputé de ses institutions. Certes, la loi de Finances a entériné une série de ponctions supplémentaires sur les ménages et les entreprises, en dépit de la promesse officielle, constamment réitérée, de ne pas alourdir la fiscalité. Mais l’argument du Gouvernement est imparable : ce n’est pas l’impôt qui augmente, mais les réductions d’impôt qui diminuent. Soit.

La restriction des niches fiscales semble réunir, chez nous, un large consensus : chacun trouve injustes les avantages fiscaux dont bénéficient… les autres. Et tout le monde sait que l’addition des exceptions au régime général représente un manque à gagner, pour le Trésor, largement suffisant pour éponger l’intégralité du déficit budgétaire. Mais allez donc faire le tri entre les niches réputées indispensables, celles jugées nécessaires, celles qui seraient utiles, celles que l’on soupçonne superflues et celles qui sont accusées de n’être que de coûteuses sucreries pour nantis. Notre fiscalité est devenue un maquis inextricable, où même un Nationaliste corse parviendrait à se perdre. Ce qui justifie largement la suggestion d’une complète remise à plat : un chantier considérable, sans aucun doute, que le temps d’une législature suffirait à peine à mener à bien. A moins qu’une pressante nécessité ne vienne électriser l’ardeur parlementaire. Car il faut bien admettre que le durcissement de la politique budgétaire ne peut raisonnablement être qualifié d’austérité. La dérive de l’endettement est ainsi aussi prévisible que le cycle des planètes, avec les dommages collatéraux qui y sont attachés : la dégradation de la signature souveraine, la curée des marchés et la nécessité conséquente, pour le pays, de s’astreindre alors à une purge mortifère. Tel est le schéma qui prévaut aujourd’hui, dans un système qui soigne sa maladie par des potions de perlimpinpin qui rendent l’agonie plus douloureuse.

Le piège de la dette

La teneur des interrogations du monde politique, que ces dernières émanent de la majorité ou de son opposition, témoigne bien du désarroi de nos élites, paralysées par la dimension d’une crise inédite à laquelle ils répondent par les bricolages ordinaires, ceux qui ne mangent pas de pain quand les affaires sont prospères. Mais qui se révèlent, au mieux, inopérants dans le cas contraire. Si bien que la situation présente transforme malgré eux nos dirigeants en schizophrènes : l’état lamentable des finances commande de réduire la voilure publique et de naviguer à la rame. Mais ce faisant, l’activité du pays se trouve déprimée, et cette déprime provoque celle des ressources fiscales. La douleur s’ajoute à la douleur. Ce pourquoi les oukases des agences de notation dépassent le niveau de l’absurde ordinaire : elles imposent des coupes sombres aux gouvernements pour maintenir leur confiance en eux, et dégradent derechef leur signature dès que l’austérité exigée a produit la récession prévisible. Ce scénario cousu de fil blanc est une bénédiction pour les spéculateurs et un piège mortel pour les Etats en difficulté. Voilà pourquoi les parlotes sur la hausse de la TVA – que l’opposition socialiste, faute d’arguments crédibles, a décidé de déclarer « non taboue » – est en passe de faire l’unanimité, ou presque, dans l’éventail politique.

Il est parfaitement avéré qu’en période paisible, où il ne s’agit que d’ajuster des déséquilibres budgétaires bénins, la TVA est une efficace vache à lait. Du reste, elle constitue toujours la plus grosse partie des ressources budgétaires (plus de la moitié des recettes nettes, avec une prévision de 130 milliards d’euros en 2011). Seulement voilà : dans un pays où la croissance se fait à hauteur de 70% par la consommation, la hausse des prix ainsi induite aurait mécaniquement un effet dépressif sur la dépense des ménages – les salaires n’étant pas candidats à majoration. Avec, en prime, un effet d’incitation à la fraude dans le commerce. Certes, la hausse de la TVA majore également la taxation des biens et services importés. Mais elle n’a hélas aucune incidence sur les délocalisations. Même si l’on abaissait parallèlement les charges pesant sur le travail autochtone, le coût du salarié asiatique demeurerait ultra-compétitif. Il en résulterait sans doute un léger mieux pour les petites entreprises, et surtout quelques profits supplémentaires pour les multinationales, déjà largement bénéficiaires d’allègements en tout genre. Mais ce au prix d’un nouvel appauvrissement de la grande masse des consommateurs. Bref, nos sociétés sont maintenant empêtrées dans les contradictions de dogmes qu’elles ont poursuivis jusqu’à l’outrance, espérant en tirer le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de la fermière. A ce stade, elles ne sont mêmes plus certaines de pouvoir conserver le petit-lait.

Par Jean-Jacques JUGIE

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